A l’occasion du 1er mai 2021, Pascale Coton, vice-présidente confédérale, et Denis Jeambrun, responsable fédéral aéronautique et défense, nous parlent du partage de la valeur, et de la prime exceptionnelle liée à la crise sanitaire.
Ils travaillent en tandem sur ce sujet, et ont porté les propositions de la CFTC auprès du ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion.
En quoi consiste le partage de la valeur ?
Denis Jeambrun : Dans l’entreprise, deux forces sont nécessaires pour produire de la valeur : le capital investi, d’une part, et le travail des salariés, d’autre part. La valeur créée est ensuite partagée selon différents mécanismes. L’équilibre de ce partage dépend notamment du pouvoir décisionnaire de chacun. Aujourd’hui, dans nos sociétés, il y a un certain déséquilibre de ce point de vue : c’est le conseil d’administration qui décide. Or, ce dernier représente majoritairement l’intérêt de l’actionnariat, et les salariés y sont encore faiblement représentés. Surtout, ils sont très rarement impliqués dans les processus de décisions informelles en amont du CA. C’est pourquoi la CFTC plaide pour une co-détermination à la française, qui permettrait aux représentants des salariés de participer davantage aux décisions, concernant le partage de la valeur notamment, mais aussi la stratégie de l’entreprise sur le long terme.
Pascale Coton : Pour la CFTC, il est essentiel que la valeur créée puisse se partager et ainsi circuler davantage, afin qu’elle contribue, en retour, au dynamisme de l’économie française en relançant tant la consommation des ménages que la production française.
La prime dite PEPA est-elle une forme de partage de la valeur ?
DJ : La prime dont on discute avec les représentants du Gouvernement est une forme de partage de la valeur, dont on se réjouit, car elle est très attendue. Mais cela reste une initiative ponctuelle, sans « l’effet de cliquet » qu’instaure une revalorisation durable des salaires, qui passerait, elle, par des négociations. La prime est une bonne chose, mais elle ne doit pas se substituer à l’augmentation des salaires.
PC : C’est pourquoi nous avons soutenu la proposition d’un dispositif de défiscalisation de la prime dédiée aux travailleurs de seconde ligne qui soit assorti de conditions, à savoir l’ouverture de négociations visant à revaloriser ces métiers et à améliorer leurs perspectives de carrière*. Car là encore, il y a un enjeu pour l’économie française : les foyers n’engagent pas le même type de dépenses selon qu’ils touchent une prime, une fois, ou qu’une augmentation de salaire mensuelle leur est accordée. La projection dans l’avenir n’est pas la même. Cette projection n’est pas que financière, partager la valeur c’est aussi reconnaître la valeur travail, et dégager des perspectives tant individuelles que communes.
Vers qui faudrait-il prioritairement rediriger la valeur ?
DJ : Il nous semble que les travailleurs de première et seconde lignes, qui ont assuré la continuité de l’économie française, mériteraient de voir leur situation revalorisée, à la mesure de leur contribution et de leur dévouement pendant la crise. Ce serait incompréhensible que le salaire de ces travailleurs ne soit pas revalorisé, alors que les cours boursiers atteignent des sommets historiques, et que les spéculateurs en sortent gagnants. Nous avons également suggéré que des congés payés supplémentaires leur soient accordés.
PC : On parle des agriculteurs, des hôtesses de caisse, des livreurs, des éboueurs, des personnels de santé… qui nous ont aidés à vivre et à manger ! La reconnaissance doit être à la hauteur du service rendu et de leur engagement. C’est important que l’on discute de la classification des métiers et des niveaux de rémunération, de l’égalité salariale femmes-hommes ou des modalités d’évolution des carrières. De surcroît, quand on y regarde de plus près, on constate que les métiers dits de seconde ligne, non seulement sont très faiblement rémunérés, mais qu’en plus ils sont majoritairement occupés par des femmes. On retombe toujours sur les mêmes questions !
L’idée est donc d’associer le versement d’aides à des engagements pour les entreprises qui les reçoivent ?
PC : Tout à fait. Les demandes de défiscalisation, ou plus généralement d’aides publiques, peuvent être l’occasion de renégocier tous les sujets de fond. Le principe d’une contrepartie a une portée générale, au-delà du champ syndical : cela paraît aberrant que l’Etat verse des aides à des entreprises ne payant pas leurs impôts en France ou ne respectant pas le droit du travail.
DJ : Les aides doivent être données avec des contreparties réelles. L’entreprise aidée devrait pouvoir montrer son engagement vertueux actuel, et non pas anticipé ou simplement promis : montrer qu’elle lutte bien contre les discriminations, qu’elle a utilisé ses précédentes aides conformément à leurs objets, qu’elle ne pratique pas l’évasion fiscale, qu’elle s’engage dans le respect de l’environnement, qu’elle utilise bien les aides pour investir (en R&D, infrastructures, etc.) afin de produire réellement de la valeur et, de fait, créer ou maintenir de l’emploi sur le territoire.
* Le dispositif de prime exceptionnelle est reconduit cette année. Il sera possible de verser une prime à tous les salariés, dont le montant, jusqu’à 1000 euros, sera exonéré fiscalement et socialement.
Pour les travailleurs de seconde ligne, dont le métier figure dans la liste des 17 familles de métiers établie par le ministère du Travail, la prime pourra être exonérée jusqu’à 2000 euros, à condition que l’entreprise conclut, soit un accord d’intéressement d’ici à la fin de l’année 2021, soit un accord de revalorisation des métiers dits de la seconde ligne (dans ce second cas, l’accord peut être négocié et signé au niveau de la branche).
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