Vingt milliards d’euros. C’est le budget que l’Etat aurait consacré à l’Apprentissage en 2023. Un dispositif éducatif dont le nombre d’entrées est passé de 321.000 étudiants en 2018, à près de 850.000 en 2023. Une hausse liée à l’introduction de la prime à l’embauche en 2020. Cette aide de 6000 euros est actuellement versée à l’employeur, la première année de recrutement d’un apprenti. De quoi générer un certain nombre de dérives dans le recours et la mise en œuvre de ce dispositif. Alors que le projet de loi des finances 2025 réduira les dépenses de l’Apprentissage, la CFTC estime que des ajustements peuvent être apportés à ces parcours en alternance, afin de maitriser leurs couts et assurer une formation de qualité à ceux qui y recourent.
Alors que le gouvernement veut s’atteler à réduire les dépenses publiques pour établir un budget pour 2025, l’apprentissage sera l’un des domaines ciblés, dans l’optique de dégager des économies. Très subventionné, ce type de formation – qui permet d’alterner périodes pratiques en entreprise et enseignements classiques – a couté près de 20 milliards d’euros à l’Etat, en 2023. Une somme très significative, puisqu’elle dépasse celle consacrée au budget de l’enseignement supérieur. Le recours à l’apprentissage a, de fait, radicalement augmenté depuis juillet 2020, suite à l’introduction de la prime à l’embauche : cette aide de 6000 euros est versée à chaque employeur, la première année de recrutement d’un apprenti. Elle vise à renforcer l’accès à l’apprentissage des jeunes, notamment des moins qualifiés, afin de les orienter vers des formations à la fois diplômantes et professionalisantes.
Des dérives attestées
Néanmoins, la libéralisation du recours à l’apprentissage a pu générer un certain nombre d’excès, pointés en avril 2024 par le magazine d’investigation Complément d’Enquête. Certaines écoles et CFA (centres de formation d’apprentis) en auraient notamment profité pour cumuler les milliers d’euros versés pour chaque apprenti par les Opérateur de Compétences (OPCO), des organismes agréés par l’État et financés par les cotisations patronales, qui sont chargés d’accompagner la formation professionnelle. En contrepartie, ces écoles n’auraient pas délivré de formations réellement qualifiantes aux étudiants, en dispensant des cours factices, souvent sans enseignants, minimisant ainsi leurs dépenses et couts opérationnels. D’autre part, certaines entreprises ont pu profiter de la prime à l’embauche pour recruter des alternants à moindre cout, substituant des contrats en CDD ou CDI par le recours renouvelé à des contrats d’apprentissage.
Moduler la prime à l’embauche pour les plus diplômés
Ayant pris une part plus qu’actif à son développement, la CFTC considère que l’apprentissage est un formidable outil d’ascenseur social pour les jeunes. Elle estime toutefois que des ajustements peuvent être apportés au fonctionnement général de ces formations en alternance, en vue de rigoriser leurs couts et d’assainir leur utilisation. A ce titre, notre organisation est favorable à une réévaluation des conditions d’accès de la prime à l’embauche. S’il peut sembler nécessaire de la conserver telle qu’elle pour permettre à des étudiants peu qualifiés de poursuivre leur formation en alternance jusqu’à l’obtention d’un Bac +3, la légitimité du maintien intégral de cette aide pour les alternants plus diplômés peut interroger. A cet égard, une modulation de la prime à l’embauche pourrait être envisagée, par exemple en la diminuant, pour les apprentis visant les niveau Bac +4 à Bac +5.
Les entreprises continueraient ainsi d’être accompagnées financièrement, mais à une échelle moindre, celles-ci pouvant en contrepartie s’appuyer sur des étudiants plus opérationnels et mieux formés que ceux visant un niveau Bac à Bac +3. Quoi qu’il en soit, la CFTC estime qu’une suppression pure et simple de la prime à l’embauche pour les alternants de niveau licence et plus serait contre-productive : ce sont les entreprises de plus de 250 salariés qui ont le plus d’opportunités d’accueillir ces alternants de niveaux supérieurs. Mettre fin à la prime à l’embauche pourrait les inciter à recruter à nouveau dans la filière classique, refermant ainsi la porte aux apprentis qui ont passé leurs premiers diplômes via l’apprentissage.
Mieux cibler, pour mieux redistribuer
Par ailleurs, étant donné les dérives observées dans la formation des apprentis, la CFTC considère qu’il est envisageable de réduire le niveau de prise en charge des contrats d’apprentissage (NPEC). Ces NPEC déterminent, pour chaque branche professionnelle, le niveau de financement accordé aux centres de formation d’apprentis (CFA) par les OPCO. Néanmoins, cette réduction ne devrait pas être générale, sous peine de baisser le niveau de qualité global de la formation des alternants. Il faudrait, à contrario, qu’elle soit ciblée, notamment en visant les CFA qui surfacturent le prix de leur formation aux OPCO. A ce titre, l’investigation de Complément d’Enquête a mis à jour certains abus notoires. Par exemple, le cas d‘un BTS management commercial, dont le prix à l’année est fixé à 5500 euros pour les étudiants non-alternants. Cette formation est également accessible gratuitement pour les alternants puisqu’elle est, le cas échéant, intégralement financée par les OPCO. Des OPCO auxquels l’école facture ici 8400 euros, au lieu des 5500 euros théoriquement requis.
En outre, si la rationalisation et l’optimisation des dépenses de l’Apprentissage pourrait inciter l’Etat à réduire la voilure du dispositif, la CFTC serait davantage encline à inviter le gouvernement à dépenser mieux, plutôt que moins. Dans le cas de l’Apprentissage, les économies réalisées pourraient ainsi être réinvesties dans le soutien des apprentis les plus précaires : par exemple, via la distribution d’aides au logement, au déménagement et au transport.
Revenir aux fondamentaux de l’apprentissage
Compte tenu des dérives qu’a pu connaitre l’apprentissage ces dernières années, la CFTC est donc favorable à la mise en place de certaines mesures de régulation budgétaires et organisationnelles. Celles-ci devront faire l’objet d’un pilotage stratégique et politique en concertation avec les partenaires sociaux. Pour la CFTC, il faut ainsi revenir aux objectifs premiers de l’apprentissage : proposer des formations en alternance de qualité débouchant sur une insertion professionnelle rapide, se concentrer prioritairement sur les premiers niveaux de qualification et jusqu’à Bac +3 inclus, voire cibler les aides aux employeurs, en fonction de la taille des entreprises. Assurer le bon fonctionnement de l’Apprentissage doit, en somme, permettre à ce dispositif d’assurer ses missions fondamentales : constituer une filière d’excellence et faire office d’ascenseur social pour les jeunes, de tous milieux sociaux.
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