Éric Descombris : « À Sanofi, les salariés n’ont plus aucune visibilité sur leur avenir »

Fin avril, la direction de Sanofi a annoncé la suppression de 1200 postes dans le monde en Recherche et Développement, dont 330 en France. Alors qu’un plan social avait déjà été mis en œuvre en 2021, les partenaires sociaux et les salariés s’inquiètent du tournant stratégique pris par l’entreprise, qui désinvestit le champ de la recherche précoce, au risque de fragiliser son avenir à long terme. Des préoccupations sur lesquelles revient ici en longueur Éric Descombris, président du syndicat CFTC Sanofi.

Éric, Sanofi a récemment confirmé vouloir supprimer 330 postes dans la recherche et développement en France. La CFTC et les partenaires sociaux s’attendaient-ils à une telle annonce ?

Pas vraiment. Quand on l’a appris début avril, ça a vraiment été vécu comme une grosse déception. Tout simplement parce qu’en octobre dernier, la direction de l’entreprise avait à contrario dit vouloir renoncer à atteindre l’objectif de rentabilité qu’elle s’était fixée pour 2025. L’idée était de se renforcer dans la recherche et développement, que le groupe avait progressivement désinvesti depuis 2009. La CFTC pensait que c’était enfin une bonne nouvelle pour les salariés de Sanofi. Finalement, on nous a annoncé ce nouveau plan social, qui touche encore une fois la recherche en amont.

Comment les salariés vivent-ils cette nouvelle réduction d’effectif, alors que le groupe avait déjà supprimé 1000 emplois en France en 2021 ?

On a beau avoir déjà vécu plusieurs fois ce genre de situation, on ne s’y habitue jamais vraiment. Les gens sont très surpris et abattus par cette nouvelle, très en colère aussi. Lors des précédents plans sociaux, beaucoup de salariés s’étaient déjà reclassés, formés dans de nouveaux secteurs, pour effectuer une mobilité en interne. Là, on leur dit qu’ils vont probablement devoir une nouvelle fois s’adapter.

Parallèlement, ils constatent aussi que les résultats du groupe sont bons, que les dividendes reversés aux actionnaires ont augmenté cette année, alors qu’une partie de cet argent aurait pu être investi ailleurs, notamment dans la recherche en amont… Globalement, les salariés n’ont plus vraiment confiance dans la stratégie de la direction, notamment parce qu’ils ont le sentiment qu’ils n’ont plus aucune visibilité sur leur avenir.

Ces 330 emplois supprimés concernent le département oncologie, qui est consacré à la recherche contre le cancer. Pourquoi Sanofi souhaite réduire ses investissements dans ce domaine thérapeutique ? 

Pour faire simple, la direction nous explique qu’on est trop en retard en oncologie et qu’elle souhaite que le groupe se concentre avant tout sur l’immunologie (le traitement des maladies du système immunitaire). Mais la taille du marché mondial de l’oncologie ne va pas diminuer. On voit mal un groupe comme Sanofi ne pas occuper plus largement ce terrain. Il est même assez probable qu’il réinvestisse massivement dans le secteur, d’ici 2,3 ans.

Ces choix pourraient-ils, à terme, fragiliser l’entreprise ?

Oui, car ils prolongent et traduisent le désinvestissement progressif de Sanofi, dans la Recherche et le Développement. Pour comprendre l’ampleur du problème, il faut bien faire la distinction entre deux champs de la recherche : en premier lieu, il y a la recherche en amont, qui représente la phase précoce du processus, qui se focalise sur le ciblage et la découverte de molécules innovantes. Néanmoins, il y a une dizaine d’années entre le moment où on découvre une molécule, et celui où on la met sur le marché. C’est la seconde étape du processus de recherche, à savoir les études cliniques en phase avancée. C’est ce procédé long et coûteux que Sanofi a décidé de prioriser.

En ce moment, le groupe a une douzaine de molécules en phase avancée de développement, qui ont un gros potentiel économique. Si la moitié ou même le tiers aboutissent, Sanofi générera des revenus importants. Mais, dans notre secteur, il faut aussi constamment penser à l’après. Or, si on désinvestit la recherche précoce, on perd de nouveaux relais de croissance potentiels. Finalement, l’entreprise continue de privilégier le court terme, en prolongeant la stratégie qu’elle met en œuvre depuis plusieurs années. De simples chiffres l’illustrent : en 2014, 26.500 personnes travaillaient dans la recherche chez Sanofi, dont 6.500 en France. Aujourd’hui, elles ne sont plus que 12.000, dont 3.000 sur le territoire national.

Sanofi affichait pourtant un bénéfice net de 6.72 et 5.4 milliards d’euros en 2022 et 2023. Comment la direction du groupe justifie-t-elle ces réductions d’effectif successives ? 

Sanofi fait partie des sociétés les plus rentables de France et, effectivement, ça peut donner l’impression qu’on marche sur la tête. L’entreprise fait autour de 30% de marge, mais paradoxalement, elle est moins rentable que ses principaux concurrents, dont les taux de marge tournent plutôt autour de 35%. En somme, notre direction se sent obligée de prendre des mesures importantes, pour améliorer notre rentabilité et suivre le rythme des autres grands groupes pharmaceutiques.

Comment pourrait s’articuler le dernier plan social annoncé ? 

Nous négocions actuellement avec la direction les mesures d’accompagnement du Plan de Sauvegarde de l’Emploi. Suite aux précédents plans sociaux, nous avions pu faire en sorte que cela ne se traduise jamais par un départ contraint pour les salariés : soit les gens partaient de manière volontaire, soit ils retrouvaient un poste en interne. Néanmoins, beaucoup d’emplois ont été supprimés dans la recherche ces dernières années et nous avons peu de postes disponibles en France. Donc, on ne peut pas complètement exclure qu’il finisse, malheureusement, par il y avoir des départs contraints. 

Pour la CFTC, quelles orientations stratégiques le groupe devrait-il favoriser ?

La CFTC pense que le groupe Sanofi a les moyens financiers pour garder ses 330 postes en interne. Au lieu d’êtres supprimés, ils pourraient plutôt renforcer notre département de recherche en amont, en immunologie. C’est juste une question de volonté. De plus, nous sommes persuadés qu’un jour ou l’autre, Sanofi reviendra vers l’oncologie, donc autant garder nos salariés et leurs compétences. Encore une fois, on en revient à la nécessité de penser long terme, qui fait actuellement défaut à l’entreprise.

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