L’emploi et la formation soumis à une diète sévère par le budget 2025 définitivement adopté par le Parlement

Définitivement adopté par le Parlement après un ultime vote du Sénat le 6 février, le projet de loi de finances pour 2025 prévoit une baisse drastique d’environ quatre milliards d’euros sur le budget du ministère du Travail, par rapport à la loi de finances initiale pour 2024. Déjà prévus pour être fortement diminués lors du dépôt du PLF, les moyens dédiés à l’emploi et à la formation ont encore été réduits lors du débat budgétaire, à l’initiative du gouvernement Bayrou. Si France Travail devrait finalement être préservé, il n’en va pas de même pour l’apprentissage et les contrats aidés.

Parmi « l’Himalaya » de difficultés évoquées par François Bayrou dès sa nomination à Matignon, la première était de parvenir à doter sans trop tarder l’État et la sécurité sociale d’un budget pour 2025, après l’échec de son éphémère prédécesseur, Michel Barnier, et la censure de son gouvernement le 4 décembre 2024. Une étape cruciale a été franchie jeudi 6 février grâce au vote du projet de loi de finances par les sénateurs, synonyme d’une adoption définitive de ce texte qui doit désormais être examiné par le Conseil constitutionnel.

La veille, l’exécutif avait passé sans encombre le double test des motions de censure déposées par les députés La France insoumise sur le PLF et sur la partie relative aux recettes du PLFSS (projet de loi de financement de la sécurité sociale), après l’engagement de la responsabilité du gouvernement sur ces deux textes via l’article 49-3 de la Constitution. Sans réel suspense, le résultat devrait être le même pour les deux autres motions annoncées par LFI sur le PLFSS qui comporte plusieurs mesures d’économies budgétaires sur les exonérations de cotisations patronales et la rémunération des apprentis.

régime sec

La chute de l’équipe Barnier avait contraint François Bayrou à recourir à une loi spéciale permettant à l’État de continuer à percevoir les impôts pour engager les dépenses strictement nécessaires à la continuité du fonctionnement de l’État à compter du 1er janvier 2025, sur la base des services votés par le Parlement pour l’exercice 2024. De ce fait, de nombreux projets ont été mis à l’arrêt ou des politiques en cours passées au régime sec, dans le champ du ministère du Travail comme dans toutes les autres administrations.

Sur le papier, les politiques publiques pourront reprendre leur cours « normal » une fois les PLF et PLFSS pour cette année promulgués par Emmanuel Macron et publiés dans la foulée au Journal officiel, en théorie d’ici la fin février, comme l’avait annoncé François Bayrou. Sachant toutefois que, si les débats sur le PLFSS devaient s’éterniser, des vacances parlementaires sont programmées du 24 février jusqu’au lundi 3 mars.

économies : le ministère du travail 1er contributeur

Comme acté dès le départ par le projet de budget présenté en octobre dernier par Michel Barnier, le ministère du Travail figure toujours au premier rang des contributeurs à l’effort de réduction des dépenses publiques. Pour mémoire, le gouvernement Attal, face au dérapage annoncé du déficit, avait décidé de diminuer fortement les moyens de la rue de Grenelle prévus par la loi de finances initiale pour 2024. Il y a un an, un décret avait ainsi procédé à une coupe d’environ 1,1 milliard d’euros sur les ressources du ministère alors piloté par la seule Catherine Vautrin, sur un total de quelque 10 Md€ d’économies toutes administrations confondues.

Les conséquences avaient alors été immédiates sur plusieurs acteurs et dispositifs avec l’instauration d’un reste à charge pour les utilisateurs du CPF (Compte personnel de formation), une baisse des moyens dévolus au PIC (Plan d’investissement dans les compétences) ou encore aux PTP (Projets de transition professionnelles) mis en œuvre par les associations paritaires ATPro. Soit une forme d’avant-goût de la rigueur qui allait dicter les choix du gouvernement Barnier : avant la traditionnelle mise en réserve en début d’exercice des crédits d’intervention dévolus à tous les ministères, le PLF présenté en octobre 2024 prévoyait déjà une baisse très significative des ressources de la mission budgétaire désormais rebaptisée « Travail, emploi et ministères sociaux »  (1).

des baisses de moyens supplémentaires

Une enveloppe de 21,632 milliards d’euros de crédits de paiement (21,479 Md€ d’autorisations d’engagement) avait initialement été proposée pour les politiques emploi-formation par le texte présenté l’automne dernier, contre 23,7 Md€ prévus par la loi de finances initiale pour 2024. Après le rejet de la partie recettes du PLF 2025 par les députés, les sénateurs ont pris la main et supprimé plus de 1,8 Md€ sur les dépenses mobilisables par le ministère du Travail, pour les abaisser à 19,791 Md€ en CP et à 19,488 Md€ en AE (2).

Dans le cadre de l’accord trouvés par les députés et sénateurs réunis le 31 janvier en CMP (Commission mixte paritaire, ces enveloppes ont été ajustées à la marge. Finalement, le gouvernement a légèrement revu à la hausse cette enveloppe dans le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité devant les députés avant son adoption définitive ce jeudi par le Sénat, avec 20,009 Md€ de CP et 19,856 Md€ d’AE. À noter que ces montants diffèrent de ceux qui résultent des comparaisons entre le projet de loi présenté en octobre et le texte validé par la CMP sur lequel le gouvernement a activé l’article 49-3 de la Constitution (cf. article 42 – état B).

l’apprentissage et les contrats aidés dans le viseur

Reste que la baisse des moyens du ministère du Travail s’avère encore plus sévère que prévu à l’automne. Au final, Bercy a confirmé ce jeudi à la presse que la baisse des crédits du ministère du Travail approchait les « quatre milliards d’euros » entre le budget initial pour 2024 et le PLF 2025 désormais adopté. Tout en observant que « malgré cette contribution », les moyens de la rue de Grenelle restaient en hausse de « 24 % en euros constants » par rapport au budget prévu pour cette année.

D’après le ministère des Finances, les économies proviennent pour l’essentiel du « recentrage » de la prime à l’embauche d’apprentis et de certains NPEC (Niveaux de prise en charge de contrats d’apprentissage), de la suppression des emplois francs à destination des demandeurs d’emploi dans les quartiers relevant de la politique de la ville et d’une « baisse du soutien public aux emplois aidés ».

Selon le quotidien Les Échos, la diminution du nombre des PEC (Parcours emploi compétences) décidée à l’origine a été renforcée dans la toute dernière ligne droite de l’examen du PLF, à l’initiative du gouvernement. Sur les 50 000 disponibles à l’origine sur 2025 contre près de 67 000 annoncés sur 2024, seuls « 30 000 à 35 000 seront finançables » cette année. Leur durée moyenne est également appelée à être réduite.

un coup de rabot du gouvernement au Sénat

Lors des débats au Sénat, le gouvernement avait déjà fait adopter un amendement diminuant de 675 millions d’euros le budget de la mission Travail, avec trois objectifs d’économies détaillés dans l’hémicycle par la ministre chargée du Travail et de l’Emploi, Astrid Panosyan-Bouvet, auprès de Catherine Vautrin :

  • Mettre fin à l’éligibilité au CPF des formations non certifiantes d’aide à la création d’une entreprise ;
  • Engager « des mesures de bonne gestion à destination de nos opérateurs : financement des coûts contractuels au prorata temporis journalier, mesures permettant de limiter les trop-versés des Opco, évolutions concernant le financement des formations à distance ou la prise en charge des dépenses de communication d’un certain nombre d’écoles » ;
  • Aligner sur le taux national du taux de la Cufpa (Contribution unique à la formation professionnelle et à l’apprentissage, 0,68 % de la masse salariale brute) celui appliqué en Alsace-Moselle (0,44 %), et supprimer l’exonération de Cufpa dont bénéficient les mutuelles.

La fin de la dérogation accordée sur la taxe d’apprentissage pour les collectivités alsacienne et mosellane a toutefois été écartée par la CMP, contrairement aux autres dispositions prévues dont celle visant à recentrer l’exonération de taxe d’apprentissage, s’agissant des mutuelles, sur les seules rémunérations des apprentis.

l’aide à l’embauche d’apprentis bientôt revue

Le texte final du PLF a également modifié d’autres dispositions introduites par les sénateurs. Tel est le cas pour le régime de l’aide l’État à l’embauche d’apprentis dans le secteur privé. Comme souhaité par le gouvernement dont le décret est prêt depuis plusieurs semaines et devrait être publié rapidement pour entrer en application au 1er mars, le principe d’une universalité de la prime sera conservé pour tous les niveaux de formation. Mais son montant sera abaissé de 6 000 à 5 000 euros pour les entreprises de moins de 250 salariés et à 2 000 euros pour les autres, contre 6 000 euros aujourd’hui. Les sénateurs voulaient, comme la Cour des comptes, en restreindre le bénéfice aux seules entreprises de moins de 250 salariés pour les certifications inférieures à Bac+3.

En outre, toujours dans la logique de réduire la « facture » découlant de la réforme de l’apprentissage prévue par la loi « Avenir professionnel » de 2018, le PLF prévoit effectivement dans sa version définitive la possibilité de moduler, à la baisse donc, les niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage dont la formation fait appel à des actions à distance.

Autre modification de dernière minute en CMP, il est dorénavant prévu que la prise en charge par l’opérateur de compétences des contrats d’apprentissage visant au moins une certification de niveau Bac+3 est « minorée » par une participation de l’employeur qui « peut être proportionnelle au niveau de prise en charge […], dans la limite d’un plafond, ou fixée à une somme forfaitaire », selon des modalités de mise en œuvre qui seront « fixées par décret en Conseil d’État ».

des budgets réduits sous l’effet de l’inflation

En l’absence de publication du rapport de la CMP sur les modifications apportées au PLF sur lequel le gouvernement a engagé sa responsabilité, le ministère du Travail ou les services du Premier ministre n’avaient pas donné suite aux demandes de précisions d’AEF info concernant les arbitrages finaux prévus par le PLF pour de nombreux dispositifs relevant des politiques de l’emploi et de la formation professionnelle.

De son côté, France Travail échappe à la suppression de 500 ETP (Équivalents temps plein) alors que le chômage vient de nettement repartir à la hausse et que l’opérateur doit digérer la réforme de l’accompagnement des demandeurs d’emploi et l’inscription dorénavant automatique des allocataires du RSA et d’une partie des jeunes suivis par les missions locales. Ces dernières, comme les structures de l’IAE (Insertion par l’activité économique) ou l’Afpa devraient voir leurs moyens maintenus à leur niveau de 2024, c’est-à-dire en réalité légèrement réduits en tenant compte de l’inflation. Avec une incertitude supplémentaire, à savoir le niveau de fixation de la réserve de précaution qui a atteint le record de 8 % des crédits votés pour 2024 et finalement gelés l’année dernière.

(1) Dénommée historiquement « Travail et emploi » depuis la loi organique relative aux lois de finance du 2 août 2005, la mission du budget de l’État pilotée par la rue de Grenelle a été renommée « Travail, emploi et administration des ministères sociaux » dans le PLF 2025. Cette évolution s’accompagne d’effets de périmètre relativement limités sur son enveloppe financière globale, faussant ainsi l’exercice de comparaison entre les deux exercices sur le budget global de la mission : 23,7 Md€ avaient été votés en loi de finances initiale pour 2024 sous périmètre budgétaire ministériel 2025, contre 22,66 Md€ sous périmètre 2024.

(2) Les crédits de paiement portent sur les dépenses effectivement mobilisables dans l’année sur l’exercice budgétaire en cours. Les autorisations d’engagement portent, elles, sur les moyens permettant de couvrir les dépenses décidées en année N mais devant aussi être provisionnées de façon pluriannuelle.

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